revolution rising

The following is an eclectic edition of a speculative stage in the genesis of the Saint-Dié witness of Et les chiens se taisaient by Aimé Césaire. This speculative stage was constructed from the pages of P1, and the original type, without revisions using an XSLT transformation of a TEI encoding of the typescript. The approach to the edition is eclectic, in the sense that I set the transformation to make corrections, normalizations, etc. Most of the changes were done to accidentals (punctuation, spacing, etc.). I respected deletions made immediately on the line with the typewriter. For a detailed study of this speculative edition and the rationale behind it, see chapter 2, “how to erase history with a no.2 pencil.”


23

(A Saint-Domingue devant une riche maison coloniale style 18e siècle, des jeunes filles blanches en train de jouer. Entrent le chœur, le récitant, la récitante.)

  • La récitante.

  • Rentrez chez-vous jeunes filles, il n’est plus temps de jouer, les orbites de la mort poussent des yeux fulgurants à travers le mica blême.

  • 1re jeune fille (sérieuse.)

  • C’est une devinette ?

  • Le récitant.

  • C’est la saison des étoiles brûlantes qui commence.

  • 2e jeune fille (riant.)

  • Ah. C’est un conte.

  • Le chœur (menaçant.)

  • Saint-Domingue raidit ses pattes d’araignée venimeuse sur la gadoue des barracouns.

  • 3e jeune fille.

  • Hou ; hou.

  • 4e jeune fille.

  • Hou. Hou.

(La mère parait sur le pas de la porte très pâle.)

  • Mes enfants… rentrez… rentrez vite… j’ai peur.

  • Le récitant.

  • Jeunes filles respectez les étrangers qui passent sur les riches ornières du crépuscule.

(Les jeunes filles s’enfuient.)


24

(Le récitant et la récitante feignent de poser par terre une civière ; le chœur de creuser une fosse. Le cadavre imaginaire est déposé au fond de la fosse. C’est une scène de magie imitative.)

  • Le récitant (recueilli.)

  • Adieu, Saint-Domingue.

  • La récitante.

  •     Adieu, Saint-Domingue.

  • Le chœur (haineux .)

  • …Saint-Domingue la noire, où le sadisme du maitre, et le ralement de l’esclave par force coprophage parachèvent en traits de vomi le happement du squale et le rampement du scolopendre.

(A ce moment l’obscurité envahit la scène ; des coups de feu ; des cris discordants ; puis le tapage s’apaise peu à peu ; quand la lumière revient, le décor a changé : le camp des nègres au milieu d’une forêt. Chefs nègres et députés blancs en conférence.)

  • 1er député.

  • Notre seule présence ici suffit à montrer combien grand est notre désir de conciliation. Nous avons fait taire en nos cœurs la naturelle indignation qui y suscite le souvenir de tant d’actes de cruauté. Et nous avons fait table rase de toutes nos répugnances et répulsions, de toutes les habitudes que nos vieux esprits philosophes appellent prévention ou préjugés et qui n’en sont pas moins des forces contraignantes dans nos societés coloniales…

  • 2e député.

  • A tout péché miséricorde… Une amnistie, voilà ce que nous sommes venus vous offrir. Miséricorde pour tous, et pour tous la liberté.


[missing pages]


25

  • Toussaint (l’arrêtant.)

  • Arrière Dessalines. Je suis seul chef ici, et ces hommes m’appartiennent. Vous, messieurs, vous exposerez à mes troupes les propositions que vous nous avez faites.

(Rassemblement. Bruit de tam-tam.)

  • Récitant.

  • Un écroulement hostile de tour, de montagne, de phare achève d’hésiter aux confins du déclic
  • Un collier de perles favorables n’engourdit plus l’inquiétude
  • Des apostrophes tentaculaires s’animent au loin comme des cataclysmes
  • Déja le silence empoisonne chaque fibre
  • Des gestes hiéroglyphes avalés à moitié signalent
  • Les jachères et les semis de cadavres.

  • La récitante.

  • Les beaux yeux aveugles de la terres chantent d’eux-mêmes
  • l’école buissonnière, les sourcils joints des hauts labours
  • les ruses savantes des colloques sans rime ni raison aux sables mouvants.
  • La vache des naufrageurs, la pluie des calvaires et des vagues
  • ensorcelent de serpents, de palabres, de varechs
  • le phare disjoint de sang d’aiglon.

26

(La scène est envahie par la foule : masse d’hommes et de femmes armés de coutelas.)

  • Toussaint.

  • Mes amis, les blancs nous envoient des embassadeurs. Voulez-vous les entendre ?

  • Des voix

  • Oui, oui qu’ils parlent.

  • 1er député.

  • Mes chers amis… Je sais que vous en avez assez de cette guerre, vos enfants ont faim.

  • Des voix.

  • Oui, oui, c’est vrai.

  • 1er député.

  • Vos femmes sont lasses d’une vie incertaine et vagabonde.

  • Des voix féminines.

  • Oui, oui ; après ?

  • 1er député.

  • Revenez sur les habitations. Reprenez le travail. Nous sommes prêts à reconnaitre la liberté aux meilleurs d’entre vous et nous vous garantissons à tous notre bienveillance paternelle.

(Des cris contradictoires dans la foule.)

  • Ecoutez les blancs. Ne les écoutez pas. Paix. Paix. A mort… à mort.

27

  • Toussaint.

  • Camarades, vous les avez entendus de vos propres oreilles, entendus. Comme ils sont bien gentils et bien conciliants, alors ils sont venus proposer à vos chefs de vous lâcher ; ils sont venus proposer à vos chefs de se vendre… Ils sont venus nous demander de vous trahir.

  • La foule.

  • Mort aux blancs. Mort aux blancs.

  • Toussaint.

  • Et les écoutant, vous avez compris, camarades, que blancs n’ont pas encore renoncés à leurs odieux privilèges ; que l’homme blanc n’a pas encore renoncé à s’engraisser du sang et des larmes de l’homme noir.

  • La foule.

  • A mort. Tue. Tue.

(La foule se resserre comme une machoire.)

  • Le récitant.

  • Ici commence le baptème du sang.

  • La récitante.

  • Ici commence le repas de vengeance. Ici se noue la solidarité du sang. Ici s’opère la grande communion guerrière.

  • Le chœur.

  • Baiser de gemmes, oubliettes du sang, belle comme la mémoire déssaisie d’oubli frais, la vengeance s’est dressée avec l’oreille du jour, et toutes les poussières de vanille qui tissent la chair des nuits, toutes les guêpes qui salivent la cassave des nuits, toutes les sphyrènes qui signent les dos des nuits ont forcé jusqu’à voir leur œil de serrure.


28

(Les guerriers défilent devant les cadavres en brandissant des coutelas.)

  • Toussaint.

  • Tout n’est pas fini camarades… Qui portera aux blancs notre réponse flamboyante ?.. Oui… Aveugles et sourds, leurs ambassadeurs naviguent du côté de l’enfer. Qui ira, et par quelles paroles nouer en d’autres viscères la peur terreuse ?

  • Des voix.

  • Nous-mêmes, nous tous.

  • La foule.

  • Nous-mêmes, nous tous.

  • Toussaint.

  • C’est bien camarades… Tout de suite… Nous tous en avant et pas de quartier.

(Les bandes s’ébranlent en poussant des cris frénétiques.)


29

  • Le récitant.

  • Un coup de sifflet… Les nègres sortent des broussailles avec une grande clameur. Les coutelas s’abattent et se relèvent et s’abattent dans le moulinet de l’exaspération.

  • La récitante.

  • Le coutelas s’abat. Quelle moisson. Ce ne sont pas des cannes qui tombent. Ce ne sont pas des troncs de bananiers. Le sang a fait sauter sa bonde. Le sang ruisselle ; des crânes billent, tels des noix de coco. Voici le soleil. Voici le sang. Voici les mouches.

  • Le récitant.

  • Le morne bourgeonne de cris. Des cadavres roulent jusqu’au pied des arbres à pain.

  • La récitante.

  • Le ravin bourgeonne de cadavres.

  • Demi-chœur.

  • Ils nous coupaient les jarrets.

  • Demi-chœur.

  • Ils nous marquaient de fer rouge.

  • Le chœur.

  • Et l’on nous vendait comme des bêtes et l’on nous comptait les dents… et l’on nous tâtait les bourses et l’on examinait le cati ou le décati de notre peau et l’on nous palpait et pesait et soupesait et l’on passait à notre cou de bête domptée, le collier de la servitude et du sobriquet.

  • Le récitant.

  • Le vent s’est levé, les savanes se fendent d’une gloire de panaches folles… J’entends des cris d’enfants…dans la maison du maitre.

  • Le chœur.

  • J’entends des cris d’enfants dans la case noire… et le petits ventres pierreux pommés en leur mitan du nombril énorme se gonflent de famine et du noir migan de la terre et des larmes et de la morve et de l’urine.


30

  • Le récitant.

  • Au nom de tous les désirs effrités en la mare de vos âmes

  • La récitante.

  • Au nom de tous les rêves paresseux en vos cœurs, je chante le geste d’acier du matador.

  • Le récitant.

  • Je chante le geste salé du harponneur et la baleine a soufflé pour la dernière fois.

  • Le chœur.

  • Un oiseau et son sourire… un navire et ses racines… l’horizon et ses cheveux de pierres précieuses… une jeune fille au sourire d’herbe déchire en fines alouettes le vin des jours, la presse des nuits…


31

(Au Cap. A l’assemblée des planteurs présidée par le gouverneur.)

  • 1er député.

  • Vous êtes un indépendant, Monsieur.

  • 2e député.

  • Et vous un pompon blanc.

  • 1er député.

  • Permettez-moi Monsieur, de vous rappeler quelle fin attend les traitres.

  • 2e député.

  • Et moi, Monsieur, celle qui attend les suppôts de la tyrannie.

  • Le gouverneur.

  • Hé, Messieurs, un peu de bon sens que diable. Vous savez o nous en sommes : en pleine révolte servile ; la moitié de la province du Nord est en feu. Avec les nègres des habitations Turpin, Flaville, Trêmes, Noé, Toussaint et Boukmann ont constitué une armée. Et quelle armée. J’en frémis. Les femmes subissent les derniers outrages, les enfants sont empalés ; les planteurs sont sciés vivants entre deux planches.

  • Une voix.

  • Mort aux philantropes.

  • Une voix.

  • A bas les négrophobes.

  • Une voix.

  • Mort à l’abbé Grégoire.

  • Le gouverneur.

  • Silence, messieurs. Ce n’est pas tout malheureusement. Pendant que la révolte entoure le Cap promenant partout l’incendie et les cris du Vaudou, ici dans la ville, la voix de la sagesse a peine à se faire entendre. On s’en prend aux esclaves restés fidèles. On s’en prend aux hommes de couleur. Plusieurs d’entre eux ont été massacrés…


32

  • Une voix.

  • Pas d’armes pour les complices des nègres.

  • Une voix.

  • Pas de quartier pour les espions.

  • Une voix.

  • Laissez parler monsieur le Gouverneur.

  • 4e voix.

  • Mettons à prix la tête de Toussaint et de Boukmann.

  • 1er député.

  • Monsieur le Gouverneur, avant d’aller plus outre, je propose de flétrir solennellement l’assemblée constituante qui, par ses décrets insensés, nous a menés o nous en sommes : à la ruine.

  • 2e député.

  • Je propose que sur l’une des places du Cap, on tienne en permanence cinq potences et deux échafauds pour le supplice de la roue.

  • Le gouverneur.

  • Je vois, Messieurs, que vous ne m’avez guère compris. Il n’est plus temps de délibérer. Ma décision est prise. L’essentiel étant d’empêcher les nègres de la province de l’ouest de communiquer avec les insurgés du Nord, je fais établir des camps au Trou, à Vallières au Morne, à Dondon, à la Marmelade et à Fort Dauphin. Quant à vous, Messieurs, aux armes et vive la colonie française de Saint-Domingue.

(Vivats prolongés. Les députés sortent.)

(Quelques attardés discutent encore.)


33

  • Une voix.

  • Vous avez raison, mon ami, vous avez raiso,. n, c’est avec de la mauvaise politique que l’on perd les colonies. Des combats, des plans de bataille. Trêve de balivernes. Avec les nègres, je ne connais qu’un moyen : la terreur. Moi qui vous parle, au premier jour de l’insurrection, j’ai fait planter 50 têtes des deux côtés de l’avenue de mon habitation en guise de palmiers, et je vous garantis que le troupeau n’a pas bougé. Voyez-vous…

(La voix se perd dans la nuit.)

  • 2e voix.

  • Hum alors tout va rentrer dans l’ordre. Moi, j’ai confiance dans ce gouverneur ; un type ce Blanchelande. Et puis, j’ai l’expérience de ces pays là. Les Antilles, voyez-vous, un pays très doux, très doux… tout doux… des îles à doudoux, vous comprenez. Alors, la Révolution, bonsoir.

(La voix fredonne :

  • A la Matinique, Matinique, Matinique
  • c’est çà qui chic…)

(Depuis quelques secondes des cris ont éclatés ; un chant monotone et sauvage nait, grossit, approche. Des huées. Des ricanements. Un piétinement confus. Une troupe frénétique de nègres envahit la salle de délibération, poussant avec des bourrades et des clameurs quelques députés blancs. Un négre grotesque gesticule à l’estrade officielle. Nous l’appllerons le speaker. Les nègres s’asseyent dans une confusion indescriptible. Alors commence une séance sinistre et bouffonne pleine d’emphase et de cruauté.)

  • Le speaker

  • Silence, Messieurs, silence.

  • 1er énergumène.

  • Pas de silence qui tiennent. Nous sommes libres et égaux en droits. N’oubliez pas cela.


34

  • 2e énergumène.

  • Et moi je dis : malheur à ceux qui n’ont pas vu inscrit sur le mur de nos honorables faces délicotées, le Mane Thecel Pharès de la tyrannie.

  • Le speaker.

  • La séance est ouverte, Messieurs.

  • 3e énergumène.

  • De quel droit, dites-moi, Monsieur, ouvrez-vous une séance que personne n’a jamais fermée ? J’ai l’honneur de repousser toute motion en ce sens.

(Nouveaux cris au dehors. Une nouvelle bande arrive sous la conduite du porte-drapeau. Le drapeau est figuré par une pique. Au bout une tête coupée ; la tête du gouverneur.)

  • Porte-drapeau.

  • Debout, camarades, voilà le gouverneur.

  • La foule.

  • Mort aux blancs, mort aux blancs.

  • Le speaker (soufletant la tête coupée.)

  • La parole est à Monsieur le Gouverneur.

  • Le porte-drapeau (d’une voix nasillarde.)

  • Parfaitement. Parfaitement. Je parlerai. Voilà, Messieurs, il n’est plus temps de délibérer. Ma décision est prise. Avec les nègres, je ne connais qu’un moyen, la terreur. La terreur est à l’ordre du jour, Messieurs…

(Applaudissements. Des rires.)


35

  • La foule.

  • A mort ; à mort.

(Une hystérie collective. Une odeur de sang monte. Le speaker danse la bamboula sur l’estrade.)

  • La foule.

  • A la Matinique, Matinique, Matinique
  • C’est çà qui chic, C’est çà qui chic
  • A la Matinique, Matinique, Matinique

  • Le speaker.

  • A la Matinique, Matinique, Matinique…

(Le silence tombe raide, funèbre.)

  • Le récitant.

  • Il monte…Il monte des profondeurs de la terre… Le flot noir monte… des vagues de hurlements… des marais de senteurs animales… l’orage écumant des pieds nus… et il en grouille toujours d’autres dévalant les sentiers des mornes, gravissant l’escarpement des ravins, torrents obscènes et sauvages grossisseurs de fleuves chaotiques, de mers pourries, d’océans convulsifs dans le rire charbonneux du coutelas et de l’alcool mauvais…

  • Le chœur.

  • En ma main noire et rouge s’époumonne une aurore de sureau blanc


36

  • Le récitant.

  • Au commencement, il n’y avait rien…

  • La récitante.

  • Pardon, camarade, au commencement il y avait la nuit.

  • Le récitant (docile.)

  • Camarade, au commencement il y avait la nuit…

  • La récitante.

  • La nuit et la misère, camarade, la misère et l’acceptation animales ; la nuit bruissante de souffles d’esclaves dilatant sur les pas du christophore, la grande mer de misères, la grande mer de sang noir, la grande houle de cannes à sucre,et le grand océan d’horreurs et de désolations.
  • A la fin, il y a, à la fin…

(Elle se bouche les yeux.)

  • Le récitant (d’une voix cinglante.)

  • A la fin, je m’en vais vous dire, moi, ce que je vois à la fin : à la fin… ah oui, à l’extrème fin, la culbute de l’Europe, la posée sur cette merde hystérique des goules masticatrices, son avachissement visité d’épouvantes, son insolence triturée de prières, et, sur se blessures, la pimentade de mon rire et le sel de mes pleurs.


37

(Entre un groupe de trois femmes ; lasses, inquiètes. Ce sont temps en temps la tête pour regarder si on les suit… A demi rassurées, elles déposent leur baluchon.)

  • 1re jeune fille.

  • Mes dents claquent.

  • 2e jeune fille.

  • Ah. Quelle fatigue… Nous sommes trempées… Il y a de la brume sur la montagne… Mes os suintent de froid et de peur.

  • La mère.

  • Courage mes pauvres enfants… Courage… C’est dur tout de même… Courir… courir… et se cacher dans les cannes en flèches… et puis courir encore… Aïe. Mes jambes…

(Les femmes ont disparu ; même décor. Une houe écorne la scène. Des houes puis des mains… Ce sont des esclaves qui labourent au crépuscule.)

  • 1er esclave (chantant.)

  • Hé, mes amis, ho.

  • 2e esclave (chantant.)

  • Hé, mes amis, ho.

  • 1er esclave (chantant.)

  • La terre est une fatigue ; ma fatigue va la fatiguer.

  • 2e esclave (chantant.)

  • Le soleil est une fatigue ; ma fatigue va la fatiguer.

  • 3e esclave (chantant.)

  • La pluie est une fatigue ; ma fatigue va la fatiguer.


38

  • 1er esclave.

  • Hé, mes amis, ho.

  • 2e esclave.

  • Ma fatigue est un gouffre ; aucun sommeil ne saurait le combler.

  • 3e esclave.

  • Ma fatigue est une soif, ho, aucune boisson ne saurait l’apaiser.

  • Chœur des esclaves.

  • Hé, ho. Ho, mes amis, ho.
  • Ma fatigue est un tombereau de sable insonore
  • aux quatre coins de moissons pétrifiées.

  • Le récitant (lugubre.)

  • Saint-Domingue fond comme un noyé dans l’acide des gorges de la Révolution.

  • La récitante.

  • La mort pleure tout doucement dans le cou de la nuit…

  • Le récitant.

  • 3000 flamboyants s’effrènent au néant de la nuit, à l’oubli de la nuit.

Coups de feu…

  • Le récitant (fébrile.)

  • Sonthonax ouvre les prisons… Sonthonax arme les esclaves…
  • Sonthonax ouvre les portes du Cap à Pienot et à Macaya…

39

  • La récitante (dolente.)

  • 300.000 hommes, tribart brisé, se précipitent dans la ville et poussent des hurlements clabauds… Le port est couvert de blancs qui cherchent à gagner les bâtiments en râde… Ah, les chaloupes chavirent…

(A mesure qu’elle parle, tout cela se dessine sur l’écran.)

  • Le récitant (féroce.)

  • … Les têtes roulent comme des cabosses de cacao.

  • La récitante.

  • Le tam-tam halète ; le tam-tam éructe… le tam-tam de feu crache des sauterelles de sang.

  • Le récitant.

  • Le feu défonce la nuit de ses épis canaques…

  • La récitante.

  • … le feu accroche ses fanes rapaces aux toits fascinés des maisons…

  • Le récitant.

  • … La ville s’effondre sur ses jarrets… Dans le vertige lent du viol…parmi les chatouilles d’un lit de fumées et de cris…

  • Le chœur.

  • Mort aux blancs. Mort aux blancs.


40

(Cris discordants… Le silence tombe tout à coup lourd et humide, le silence de la Caraïbe. Subitement un navire envahit tout le champ de vision, en perdition ; et dans la chair de la mer phosphorescente, une inscription explose, sanglante, reflétée par les écueils.)

  • Le chœur (enthousiaste.)

  • Haïti. Haïti.

(Le récitant et la récitante se rapprochent à tatons sur le devant de la scène.)

  • Le récitant (pleurant.)

  • Froid cœur de la mort, la lagune a dégainé son poignard.